Yoga and Tantra: History, Philosophy and Mythology de Tova Olssen (2023)
- Chantale Gervais

- 31 janv.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 mars
J'ai découvert ce livre par une publication de Tova Olssen à travers une formation qu'elle offre et que je suis actuellement en train de suivre sur les Daśa Mahāvidyā, alors qu'elle le mentionne et le suggère en complément d'apprentissage.
Tova aborde la mythologie et la philosophie du tantra de manière très accessible, sans édulcorer les enseignements profonds qu'ils portent. Ses connaissances proviennent de ses études universitaires, de même que par sa propre pratique yogique. On sent, dans son livre, l'authenticité d'un partage sincère et respectueux pour les traditions du tantra, plus particulièrement celui du Śivaïsme du Cachemire.
Elle nous dresse un portrait de l'histoire du tantra qui nous permet de mieux saisir le contexte de son développement, de son influence, et de son évolution jusqu'à nos jours. Elle nous fait part ensuite de la riche mythologie des traditions tantriques, ce qu'elles signifient et ce qu'elles peuvent nous enseigner. Tova nous présente des figures importantes du tantra, telles que Śakti, Śiva et Gaṇeśa, et le symbolime qu'elles portent.
J'ai grandement apprécié cette lecture. Je pense qu'elle peut servir d'une excellente introduction au tantra, pour les personnes curieuses d'en savoir plus sur ces traditions. Son accessibilité en fait une ressource pertinente et fiable pour les débutants comme pour les plus expérimentés.
Voici mon résumé des deux premiers chapitres (les autres suivront dans les semaines suivantes).
Résumé de lecture – Yoga & Tantra, History, Philosophy and Mythology de Tova Olsson (2023)
Introduction
Tova Olsson aborde le yoga et le tantra comme deux traditions « consœurs », mêlant approche analytique et dévotion. Elle présente des textes variés, incluant les systèmes philosophiques influençant le yoga contemporain. Pour elle, connaissance et pratique se soutiennent mutuellement : la connaissance peut attacher ou libérer selon son usage.
Elle interroge la définition du yoga : « Pour qui et dans quel contexte est-il? » et structure son ouvrage en neuf chapitres couvrant son histoire, ses fondements philosophiques, les Yoga Sūtra, la Bhagavad Gītā, la tradition bhakti, les traditions des déesses, le tantra, le Vijñāna Bhairava Tantra et la mythologie indienne. Ce livre s’adresse aux pratiquants et propose des questions de réflexion personnelle.
Chapitre 1 – L’histoire du yoga : un aperçu du désir humain de libération
Ce chapitre explore comment la quête de liberté a façonné diverses traditions yogiques. Loin d’être une tradition fixe (sanātana dharma), le yoga évolue constamment et se construit sur des narratifs culturels et individuels.
Origines du yoga et perspectives historiques
Si l’idée d’un yoga ancien enraciné dans les Védas est répandue, ces textes y font peu référence. Cette vision a été renforcée par le nationalisme indien et les orientalistes occidentaux.
Une autre origine notable est celle des śramaṇa (500 av. J.-C.), ascètes renonçants qui cherchaient à échapper au saṃsāra et au karma via la méditation (dhyāna) et le tapas (discipline, chaleur intérieure). Contrairement au tapas védique collectif, leur quête était individuelle, orientée vers la libération (mukti) ou l’anéantissement de l’individu. Le terme dhyāna yoga apparaît pour la première fois dans le Mahābhārata (env. 300 av. J.-C. – 300 apr. J.-C.) et sera repris par le bouddhisme et le jaïnisme.
Le yoga classique et le yoga en tant que système philosophique hindou
Les Yoga Sūtra de Patañjali (325-425 apr. J.-C.) sont une compilation influencée par le sāṃkhya et le bouddhisme. Ce texte dualiste marque l’intégration du yoga comme un des six systèmes philosophiques orthodoxes hindous (XIIe siècle).
Le yoga tantrique
Entre 500 et 1200 apr. J.-C., le yoga s’intègre au tantra, qui comprend plusieurs courants :
Śaiva tantra (Śiva comme réalité suprême)
Vaiṣṇava tantra (Viṣṇu comme fondement de l’existence)
Śākta tantra (Durgā ou Devī comme origine du monde)
Tantra bouddhiste (Vajrayāna)
Le tantra met l’accent sur les mantra et la visualisation, visant des pouvoirs (siddhi) ou l’union avec une divinité personnelle (icchā devatā). Il introduit la notion du corps subtil, des nāḍī, et des cakra (six centres énergétiques selon le Kubjikāmata Tantra, vers 900 apr. J.-C.), ainsi que le concept de kuṇḍalinī, énergie primordiale enroulée à la base de la colonne.
Le haṭha yoga
Le haṭha yoga (« yoga par la force ») apparaît vers 1000 apr. J.-C. et s’affirme dans des textes comme le Dattātreyayogaśāstra (1200), le Haṭhayoga Pradīpikā (1400), le Śiva Saṃhitā (1300) et le Gheraṇḍa Saṃhitā (1700). Il reprend des éléments du yoga classique et tantrique, tout en développant des pratiques physiques (āsana, prāṇāyāma, bandha, mudrā). Il conçoit le corps comme un système fermé où l’énergie peut être raffinée par le tapas.
Le haṭha yoga est lié aux Nāth yogi, un ordre fondé par Gorakṣanātha (XIIIe siècle), connu pour ses enseignements mystiques et son engagement militaire (rébellion sannyāsī du Bengale, XVIIIe siècle).
Yoga moderne : continuité et transformation
L’auteure questionne : le yoga a-t-il perdu son potentiel révolutionnaire, devenu un simple outil de bien-être, ou reste-t-il un contrepoids culturel?
Depuis 150 ans, le yoga a subi une transformation radicale sous l’effet de la mondialisation et de la modernisation. Un tournant majeur a lieu à la fin du XIXe siècle, quand l’Inde, en quête d’indépendance, redéfinit son identité.
Figures clés du yoga moderne
Swāmī Vivekānanda (Rāja Yoga, 1886)
Śrī Aurobindo (exilé, puis maître spirituel)
Paramahaṃsa Yogananda (Autobiography of a Yogi)
Swāmī Śivānanda (Bihar School of Yoga)
Swāmī Kuvalayānanda (Kaivalyadhama, recherches scientifiques sur le yoga)
T. Krishnamacharya (mentor de Pattabhi Jois, B.K.S. Iyengar, T.K.V. Desikachar et Indra Devi)
Le yoga est souvent divisé en grandes périodes :
Pré-classique (śramaṇa)
Classique (Yoga Sūtra de Patañjali)
Post-classique (tantra et haṭha yoga)
Moderne (réinvention contemporaine)
L’auteure souligne que ces traditions varient selon leur conception de la mukti (libération du monde) et de la bhukti (réalisation dans le monde), certaines valorisant l’éternel et d’autres l’éphémère.
Questions de réflexion suggérées par Tova Olsson :
Pourquoi est-ce que je pratique le yoga?
Comment j’adapte ma pratique à mes objectifs?
Quelle est ma relation avec le mot « liberté »?
Est-ce que je cherche la libération de quelque chose ou la liberté de faire quelque chose?
Quelles traditions du yoga résonnent avec moi?
Est-ce que ma pratique actuelle s’inscrit dans une des traditions historiques mentionnées?
Chapitre 2 – « La philosophie yogique : du Veda et Vedānta au sāṅkhya et śaiva tantra »
L’auteure ouvre le chapitre avec la phrase : « Au commencement était le Verbe, dit la tradition biblique », qu’elle met en parallèle avec la mythologie indienne. Dans les purāṇa, Brahmā contemple le chaos, et alors qu’il formule une pensée pour organiser la création, une intuition surgit au bout de sa langue – vāc, le Verbe – personnifiée par Sarasvatī, la déesse de la connaissance. Rayonnante comme mille pleines lunes, elle incarne le potentiel créatif et déclare : « Par la connaissance (jñāna) et à travers la connaissance vient l’action (kriyā). »
Le Verbe, ici, représente autant la vibration originelle que le principe d’organisation linguistique. L’auteure rappelle que certains théoriciens du langage affirment que les mots ne reflètent pas la réalité, mais la construisent. En créant ou en abandonnant un concept, nous façonnons la société. Le langage permet une communication riche, mais aussi une division du réel en catégories.
Elle insiste sur l’importance culturelle des mots. Le mot « philosophie », issu du grec philosophia, traduit mal le sanskrit darśana, qui signifie littéralement « vision », une manière de voir ou d’interpréter le réel. Malgré cela, le terme « philosophie yogique » est souvent utilisé pour désigner un ensemble d’écoles de pensée indiennes.
La différence entre philosophie occidentale et philosophie indienne
L’auteure évite les oppositions rigides entre « Orient » et « Occident », qu’elle qualifie de catégories imaginaires. Néanmoins, elle distingue une philosophie occidentale plutôt spéculative, ancrée dans l’intellect, d’une philosophie indienne centrée sur une connaissance transformante (jñāna) : une gnose qui concerne l’être tout entier. Dans les traditions indiennes, la vérité est éprouvée dans le corps et l’esprit à travers une purification du mental, rendue possible par la discipline et les pratiques (sādhanā).
Les Upaniṣad : une connaissance intuitive et libératrice
Les Upaniṣad, composées entre le Ve siècle av. J.-C. et le XIIe siècle, forment la base du Vedānta et décrivent différentes visions de la vérité. Elles proposent une connaissance intuitive plutôt que dialectique et insistent sur l’impossibilité pour l’humain de se satisfaire du bonheur éphémère. Le but ultime est un bonheur durable, expérimenté lorsque le Soi (ātman) est perçu comme identique à tout ce qui est. Cette réalisation s’atteint par la méditation et le mantra Om, qui permettent de « traverser la mer obscure ».
Les Upaniṣad, tout comme les Veda, sont considérées comme śruti, c’est-à-dire révélées, entendues. Elles réinterprètent les rituels védiques en leur donnant un sens intérieur. Par exemple, soma, le nectar divin, devient une substance intérieure éveillée par la pratique.
L’auteure souligne que ces textes invitent à dépasser l’attachement à l’accumulation de connaissances conceptuelles. Parfois, « savoir » quelque chose limite notre capacité à le voir vraiment. Mais il ne s’agit pas de rejeter toute forme de connaissance : les Upaniṣad proposent une autre forme de savoir, qui libère. Cette jñāna transforme, elle unit au lieu de diviser.
Elle note aussi que, malgré cela, la plupart des maîtres de l’époque étaient de grands érudits. Pour renoncer à quelque chose, il faut d’abord l’avoir acquis. De même, dans certaines traditions bouddhistes, on dit que la dernière chose à abandonner est sa propre idée de la méditation. Cela a inspiré des enseignants modernes à dire : « Tu es déjà ce que tu cherches. » Mais pour les traditions classiques, la réalisation ne survient pas sans appel profond – ce que Śrī Aurobindo appelle « un appel des profondeurs » –, c’est-à-dire un désir sincère, de la technique, de la discipline et une direction claire.
C’est pour cette raison que la tradition tantrique offre différents upāya, des méthodes variées selon le niveau du pratiquant. L’auteure cite le poète soufi Rūmī : « Après toutes ces années à cogner à la porte, elle s’est soudainement ouverte. Et je me suis aperçu que je cognais de l’intérieur. »
Vedānta et advaita vedānta
Le Vedānta s’est développé à partir des Upaniṣad, mais aussi de textes comme la Bhagavad Gītā. Au fil des siècles, il a intégré des influences diverses, notamment tantriques. Śaṅkara (vers 800) a transformé le Vedānta théiste et dualiste en système non dualiste (advaita). Plus tard, Vivekānanda et Aurobindo ont proposé un néo-Vedānta, influencé par la pensée occidentale moderne. Celui-ci a largement nourri le yoga contemporain, mais en intégrant parfois des idées contradictoires.
Le sāṅkhya : le dualisme du yoga classique
En plus du Vedānta, la philosophie yogique contemporaine s’inspire du sāṅkhya, considéré comme l’un des plus anciens systèmes philosophiques indiens. Il apparaît sous forme systématique au IIIe ou IVe siècle et partage des fondements avec les traditions śramaṇa, comme le bouddhisme : la souffrance (duḥkha) ne peut être dépassée que par la connaissance (jñāna), c’est-à-dire un discernement profond (viveka).
Le sāṅkhya repose sur un dualisme entre puruṣa (la conscience, le témoin) et prakṛti (la nature, toute forme d’activité mentale ou physique). Puruṣa est immobile, sans action, tandis que prakṛti est en perpétuel mouvement, mais sans conscience. En se désidentifiant de prakṛti, puruṣa atteint la kaivalya, un état de liberté et de détachement total.
Sāṅkhya signifie « énumération » : la réalité y est divisée en 25 tattva. Les 24 premiers relèvent de prakṛti, le 25e est puruṣa. L’auteure note que dans le Sāṅkhya Kārikā, puruṣa est passif, sans créativité, alors que prakṛti est aveugle, sans conscience – un duo rappelant les figures de Śiva et Śakti dans certaines interprétations tantriques.
Toutes les écoles philosophiques ultérieures s’appuient sur ces fondations, soit pour les conserver, soit pour les transformer. Certaines restent dans un dualisme, d’autres ajoutent de nouveaux tattva, réorientant la pratique.
Conclusion : une approche inclusive et évolutive
L’auteure conclut que les philosophies indiennes tendent à intégrer les courants passés plutôt qu’à les rejeter. Les anciens concepts sont souvent réinterprétés, déplacés du rituel extérieur vers une expérience intérieure. Cela reflète aussi la manière dont le yoga contemporain, influencé par la psychologie, transforme les traditions selon notre regard actuel.
Elle nous rappelle que la connaissance, comme le langage, peut limiter notre vision. Ce que nous croyons savoir devient un filtre. Les traditions parlent de vāsanā, ces traces mentales et tendances anciennes qui conditionnent nos réactions. Elles ne se dissipent qu’avec l’effort (tapas)… ou après un très grand nombre d’incarnations.
Questions de réflexion proposées par l’auteure :
Est-ce que je considère que la philosophie fait partie intégrante de ma pratique de yoga?
Si oui, de quelle manière?
Est-ce que ma vision philosophique est cohérente et enracinée dans une tradition?
Comment cette vision influence-t-elle ma manière de pratiquer?


Merci Mme Gervais pour ce résumé. Très instructif! J'ai bien hâte de lire la suite, bravo!